Favoritisme, pressions morales, vexations... Les méthodes du sélectionneur Bruno Bini divisent l’équipe de France féminine, au risque de remettre en cause sa progression des dernières années.
"Je me suis fait assassiner dans les médias et aucune d’entre vous ne m’a défendu." Septembre 2012 à Clairefontaine, premier rassemblement de l’équipe de France féminine après les JO de Londres achevés au pied du podium (4e), comme la Coupe du monde un an plus tôt. Le sélectionneur Bruno Bini prend la parole devant son groupe. Le débriefing sera court. Aucun retour technique, des reproches, et surtout un rappel de la prééminence de son fameux "projet de vie" : un patchwork où se mêlent aphorismes, citations, chansons et règles de cohabitation. Les joueuses comprennent que jusqu’à l’Euro suédois en juillet 2013, les mois seront difficiles à vivre.
"Le changement, ce n’est pas pour maintenant"
Le 20 août, Bruno Bini leur avait déjà fait passer une lettre par mail. "Si vous voulez continuer avec les Bleues, vous devrez impérativement (avec vos caractères propres qui sont, je sais, différents de l’une à l’autre) être en harmonie avec le Projet de Vie. […] Vous voyez, rien de bien nouveau… Le changement, sur ce dossier comme sur d’autres, ce n’est pas pour maintenant!!!" Un mail envoyé par Pierre Repellini, le responsable administratif des Bleues, curieusement siglé Unecatef et non FFF. Pas sûr que cette dernière aurait apprécié le ton employé. Ni que tous les entraîneurs affiliés au syndicat des entraîneurs (dont Repellini est vice-président délégué et Bini membre du comité directeur) le cautionnent, d’ailleurs. "Rien à dire sur le fond. Mais dans la forme, on sent une intention de pression morale, voire d’ultimatum", s’étonne François Peltier, spécialiste en management sportif, à qui nous avons fait lire cette lettre.
Le sélectionneur tentait de reprendre la main en resserrant sa poigne. Autant la demi-finale de Coupe du monde marquait un progrès, autant les JO s’apparentent à une stagnation. Il y avait moyen de faire mieux, estiment unanimement les joueuses. "C’est du gâchis", a résumé à chaud l’expérimentée Sonia Bompastor. Bini l’a pris pour lui. Il faut dire qu’il a l’habitude de réagir à la moindre sortie médiatique de ses joueuses par des SMS menaçants. "De toute façon, je ne dirai pas que c’est la faute de Sarah et d’Élise", glissait-il, juste après la défaite en demi-finale face au Japon, allusion à une faute de main de sa gardienne et à un penalty manqué de sa milieu de terrain.
"Les Copains d’abord"
Le 10 septembre, lors d’une réception organisée boulevard de Grenelle, Bruno Bini présente aux employés de la FFF un court film retraçant le parcours aux JO. Trois ralentis sur l’erreur de Sarah Bouhaddi, autant sur le penalty d’Élise Bussaglia. Les joueuses sont pétrifiées. Beaucoup se sentent trahies. Alors que le champagne est servi, le président Noël Le Graët les interroge sur leur désarroi. Et commence à comprendre que la réalité est bien loin du conte de fées que Bruno Bini chante aux amoureux du football féminin.
Le président de la FFF en a confirmation dès lors que le sélectionneur ne convoque plus Sonia Bompastor. Le tort de la joueuse aux 153 sélections? Dans une discussion avec Bini, avoir martelé ses ambitions et ouvert des pistes pour que l’équipe progresse. Le coach semblait opiner. Mais après cela, il ne la regardera plus. Ne lui parlera plus. Comme pour acter sa mise à l’écart, sa traditionnelle "chanson du coach" change au stage suivant. Fini La Ballade des gens heureux, Bruno Bini choisit Les Copains d’abord de Georges Brassens. C’est là que le bât blesse le plus douloureusement. Derrière le leitmotiv de Bruno Bini – "vous êtes à 100 % avec moi, ou vous êtes contre moi" –, flotte l’impression largement partagée que le copinage est indissociable du "projet de vie". Et qu’il est un frein durable au développement de l’équipe. "Certaines peuvent marcher à l’entraînement et être mauvaises en match, elles seront toujours titulaires", entend-on.
Le string qui fait grincer
Premières visées, les deux piliers du sélectionneur : Gaëtane Thiney, en deçà de son vrai niveau aux JO, et Sandrine Soubeyrand, un mythe de 39 ans en déclin. Au-delà, des choix de joueuses pour le moins étranges depuis plusieurs années. Pourquoi appeler la gardienne remplaçante du PSG et pas la titulaire, comme il l’avait déjà fait avec les Lyonnaises ? Pourquoi mettre sur le banc Camille Abily, une des 10 meilleures joueuses du monde en 2012? Comment continuer d’ignorer Amandine Henry, meilleure milieu française, pour une brouille avec une autre internationale… qui est son équipière à Lyon?
Face à ces préférences, les rancoeurs remontent. On rappelle ce jour où, peu après sa prise de fonction, Bruno Bini a offert un string à Gaëtane Thiney, pour son anniversaire. Avant de monter un diaporama où certaines filles, sur sa proposition, exhibaient leurs tatouages intimes ou leur poitrine seulement recouverte d’une chaussure. On s’étonne qu’il s’invite à manger chez Gaëtane Thiney, quand ce n’est pas chez ses parents. Qu’il cautionne les attaques de sa capitaine Soubeyrand contre ses partenaires lyonnaises. Qu’il invite ses joueuses à fumer en sa compagnie, comme il le faisait avec les moins de 19 ans. Qu’il sélectionne une Guingampaise pour un match à Guingamp, ville de Le Graët, pour ne jamais la rappeler. Le gouffre a dépassé l’opposition entre les restes du football amateur, symbolisé par les deux joueuses de Juvisy, et celles du professionnalisme montant qu’incarnent les Lyonnaises, doubles championnes d’Europe.
Depuis qu’il a écarté Bompastor, ceux qui le côtoient le décrivent comme un homme obnubilé par son image, qui passe des heures à épier ce qui le concerne sur les réseaux sociaux. Les dernières rencontres, des nuls arrachés à l’Angleterre et aux Pays-Bas ont affiché au grand jour le visage d’un groupe qui se délite. À l’extérieur, Bini joue les illusionnistes. À l’intérieur, ce sont ses adjoints, Philippe Joly et Corinne Diacre, qui prennent le jeu de l’équipe en main. Cette dernière, première femme à passer le diplôme d’entraîneur professionnel – que Bini ne possède pas – a annoncé son intention de lui succéder à terme. En attendant, elle se tait. Comme les adjoints de Domenech face à d’autres dérives, en d’autres temps.
Le coup d’État manqué
Mieux, depuis qu’il est placé sous la responsabilité directe du président de la FFF, celui qui se présente comme "le président de la République" de l'équipe ne parvient plus à freiner ses ambitions politiques. Avec la secrétaire générale de la FFF, Brigitte Henriques, alias "Féminator", auteur du plan de féminisation du football, il a tenté de pousser à une refonte des sélections de jeunes, consistant simplement à remplacer certains techniciens en place par des membres de leur réseau. Ou comment contrôler l’ensemble du foot féminin. Parmi leurs cibles, l’entraîneur Guy Ferrier, sélectionneur de l’équipe des moins de 17 ans. Appuyé par le responsable des sélections, Willy Sagnol, le DTN François Blaquart s’est opposé aux visées hégémoniques du duo. Avec ces jeunes filles, Guy Ferrier sera sacré champion du monde quelques mois plus tard, au grand dépit de Bruno Bini. Qui n’a plus beaucoup de soutiens à la DTN.
Des joueuses veulent voir Le Graët
L’équipe de France est réunie ce matin à Clairefontaine avant un match amical, jeudi, en Allemagne. Persuadée d’être menée droit dans le mur, une majorité de joueuses vient en traînant les pieds. Une poignée a désormais l’intention de porter l’affaire devant Noël Le Graët. Il leur a été conseillé d’attendre les élections, sa préoccupation majeure jusqu’au 15 décembre. Au-delà, malgré un entregent qui opère jusqu’à l’entourage même du président, le sélectionneur peut déjà plancher sur un projet de réconciliation.
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