REPORTAGE Louisa Nécib, milieu de terrain de l’Olympique lyonnais, est le visage le plus connu d’un sport féminin, encore discret en France mais pourtant en plein boom.
Un lundi, 10 heures du matin, quartier de Gerland, sud-ouest de Lyon : 21 filles en short bleu marine ont rendez-vous. Elles se recoiffent, lacent leurs crampons et remontent jusqu’au menton la fermeture Eclair de leur blouson. Il fait froid, l’herbe est encore trempée de rosée. Autour, les gradins en béton forment une enceinte grise, comme le ciel. Les filles rient, leurs mollets frissonnent, elles entrent sur le terrain. Un homme les attend. Les joueuses forment un cercle autour de leur entraîneur.
Louisa Nécib, 25 ans, porte de longs cheveux bruns. Quand elle court, ils flottent dans son dos et balayent le numéro 10 inscrit sur son maillot. Milieu de terrain, comme Zidane. «Ziza» est elle aussi d’origine algérienne et a grandi dans les quartiers Nord de Marseille, où «à chaque coin de rue, dit-elle, ça joue au foot». Elle a 11 ans quand son idole devient champion du monde. «La comparaison est facile et très flatteuse, mais elle n’a pas lieu d’être», rétorque-t-elle. Pas de grandes, ni de longues phrases. Autre point commun : la timidité. Louisa n’est pas du genre à se confier.
Petite fille, elle regarde les matchs de foot à la télévision avec son père, électricien. Elle se destine alors à la gymnastique, qu’elle pratique pendant cinq ans. Cheval-d’arçon, barres asymétriques, poutre… Louisa Nécib délaisse finalement les agrès pour le foot, hypnotisée par les passements de jambes de Zidane. Une vocation naît, sortie de l’écran. En bas de son immeuble, sur le bitume marseillais, elle impressionne les garçons de son âge par des dribbles, des petits ponts et de longues passes décisives. «Ça m’est venu naturellement, je ne l’explique pas. Je ne me suis jamais rêvée footballeuse.»
Quinze ans plus tard, sur le terrain de Gerland, dès l’entraînement, son style saisit. Patrice Lair, 51 ans, hurle : «Mettez de la qualité ! Il faut de la technique, de la tactique et du physique, poursuit l’entraîneur.J’essaie d’améliorer leur jeu de tête devant le but. Il faut qu’elles courent plus vite et qu’elles sautent plus haut. L’aérien, c’est ce qui compte au niveau européen.»
C’est à Montpellier que Patrice Lair rencontre Louisa Nécib, en 2006. Elle vient de terminer une formation sportive au centre technique national de Clairefontaine (Yvelines). Il la regarde jouer et repart séduit par son sens du jeu précis. En juillet 2007, il fait venir la Marseillaise à l’Olympique lyonnais. Ensemble, ils deviennent six fois champions de France, deux fois vainqueurs de la Coupe de France et de la Ligue des champions.
Le 7 octobre, l’OL bat Vendenheim 13-0
Louisa Nécib, 1 m 64 pour 51 kilos, aux pieds une technique élégante, est l’une des meilleures joueuses d’Europe. «Les premières victoires sont émouvantes. Je me souviens, c’était avec le club de mon quartier, j’avais 14 ans. On était une équipe de copines. Ensuite, il y a eu la finale de la Coupe nationale avec la Ligue Méditerranée. Je n’avais pas marqué. Mais on a terminé par une victoire, c’est ce qui compte. De toute façon, je ne suis pas attaquante, je n’ai pas le but en tête.» Sur le terrain, elle pense à l’équipe. En 2009, quatre footballeuses de l’équipe de France ont posé nues devant l’objectif d’un photographe pour une campagne publicitaire de la Fédération française de football (FFF). Leur slogan : «Faut-il en arriver là pour que vous veniez nous voir jouer ?»
«Le foot, c’est une passion, un plaisir, un jeu. Je me sens privilégiée, je fais ce que j’aime. Avec Lyon, on a tout gagné, donc on ne veut pas baisser. On veut rester au top», ajoute Louisa Nécib. Hors du terrain, elle oublie les dribbles de Zidane. Et préfère les déhanchés hip-hop de la chanteuse Rihanna. Louisa Nécib a des amis à Lyon, mais, dès que possible, elle prend le TGV, direction Marseille : «L’endroit que je préfère.» Elle retourne voir son père, sa mère, qui conduit à l’école des enfants handicapés et cuisine «le meilleur des couscous», ainsi que son frère et sa sœur, ses cadets. «Ma famille est maghrébine. Souvent une fille footballeuse, ça pose problème au père. Pas chez moi.»Ultraféminine, Louisa Nécib n’a pas l’impression d’exercer un métier d’homme. Ses proches non plus. Ils la soutiennent et, depuis ses débuts, viennent l’encourager au stade.
Louisa vit dans un monde raisonnable, celui du football féminin, une petite planète, modeste et discrète, à des années-lumière des sphères milliardaires du foot de garçons. «Les filles ont plus de rigueur et surtout plus de respect vis-à-vis du staff, estime Patrice Lair. Je n’entre pas dans leur vie privée, je leur fais confiance.» Quand Louisa et son équipe jouent, les gradins sont rarement pleins. Leurs exploits ne font jamais la une des journaux sportifs, pourtant elles marquent en moyenne 6 buts par match. «Le foot de filles, c’est un spectacle,poursuit l’entraîneur. Nous marquons beaucoup pour attirer les foules.» Les femmes compensent leur manque de vitesse et de puissance par une grâce acrobatique autour du ballon. Chez elles, aucun scandale, pas de crise, ni de frasques : la victoire est leur seul argument marketing. Les filles de l’OL font le show et restent accessibles. Le 11 novembre, elles battent Montpellier 6 à 2. La semaine précédente, elles passaient 3 buts à Saint-Etienne. En octobre, elles triomphent de Juvisy (Essonne) 4-0 avant d’écraser 13-0 les Alsaciennes de Vendenheim, le 7 octobre.
«Moins d’argent, plus de plaisir»
Les chaînes de télévision y trouvent de l’intérêt. En 2009, Direct 8 a remporté l’appel d’offres pour la diffusion des matchs des Bleues, des Espoirs ainsi que ceux du championnat national féminin, pour une somme estimée à 1,7 million d’euros. France 4 a couvert le foot féminin aux JO et partage avec Eurosport les droits pour les rencontres de première division en 2011-2012, achetés pour 110 000 euros. Contre 600 millions d’euros environ déboursés par tous les diffuseurs pour la Ligue 1 masculine de 2012 à 2016. Depuis 2010, les joueuses bénéficient de contrats spécifiques avec des sponsors qu’elles partageaient jusque-là avec les garçons. Au total, les recettes sponsoring annuelles de 2012 pour le foot féminin s’élèveraient à 387 500 euros. Pour les garçons, on parle de 62,2 millions.
«Il y a moins d’argent et plus de plaisir chez elles», explique un de leurs fans qui assiste à l’entraînement. Louisa Nécib n’a pas souhaité révéler le montant de ses primes par match et de son contrat avec l’OL, club le plus fortuné du championnat avec un budget de 110 millions, dont 3,5 millions seraient dédiés à la section féminine, selon certains spécialistes.«Les gens sont effrayés par les sommes qui circulent dans le foot masculin, précise la joueuse sans aigreur. Mais on proposerait ces montants à n’importe qui dans la rue, personne ne refuserait. Tant mieux pour ces joueurs.» Les garçons de l’OL - les stars Yoann Gourcuff ou Bafétimbi Gomis -, elle les connaît et les croise dans la salle de musculation ou au restaurant du club. «Le foot masculin se joue dans le monde entier, c’est très populaire. Pour nous, ça va venir, il faut du temps.» La parité dans le foot est rare. Les clubs professionnels n’ont pas, pour l’instant, l’obligation de créer une section féminine. En première division, on compte douze équipes de femmes, dont Lyon, le PSG, Montpellier, Juvisy dominent le classement et un grand absent : l’Olympique de Marseille.
Cet été, le public a entendu parler de ces sportives que même les plus footeux négligent. Au mois de juillet, la Fédération internationale de football a autorisé le port du voile dans ses compétitions. La FFF a pris ses distances vis-à-vis de cette décision, rappelant dans un communiqué«son souci de respecter les principes constitutionnels et législatifs de laïcité qui prévalent» en France. Patrice Lair n’est pas gêné «que l’on joue contre des filles voilées ou que mes joueuses se voilent. Certaines font le ramadan, je m’adapte.» Louisa Nécib, musulmane, refuse d’entrer dans la polémique : «La décision ne nous appartient pas.» La joueuse se rangera derrière la position de son pays, la France, pour qui elle joue en équipe nationale depuis 2005.
«Un diplôme, une victoire»
En 2012, la voilà, avec quatorze de ses coéquipières lyonnaises, sélectionnée pour les JO, organisés au Royaume-Uni. «Nous étions logées à Glasgow, où se tenaient les épreuves de foot,se souvient Louisa Nécib. On était déçue de ne pas être au village olympique, à Londres. Mais dès les quarts de finale, on y est allées. C’était incroyable : plein d’athlètes partout.» Jeudi 9 août, les Bleues rencontrent le Canada dans le match pour la troisième place. A trente secondes de la fin d’une rencontre que les Françaises dominent, les Canadiennes marquent, 1-0. Louisa Nécib et ses copines rentrent au pays sans médaille.
Retour à Lyon, l’entraînement s’achève par des étirements. Le corps travaille quand leurs esprits semblent déjà loin. Un coup de sifflet.«C’est terminé !» annonce Patrice Lair. Dans les vestiaires, elles troquent leur survêtement contre des jeans. Leur vie continuent après les arrêts de jeu, elles étudient, exercent parfois un métier et accumulent des victoires d’un autre genre. La plus belle, pour Louisa Nécib, est l’obtention d’un diplôme. Bachelière scientifique, elle s’est inscrite à la fac et vise une licence éducation et motricité, pour devenir professeur de sport. «Professeure, ça ne doit pas être marrant tous les jours. Il me faut un bagage», explique-t-elle. Et pourquoi pas championne du monde ? Libération
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